Visite de l’eurodéputé écologiste David Cormand dans le Sud-Manche les 15 et 16 mai : une Europe en questions dans nos ruralités.

En ce mois de l’Europe, David Cormand, élu normand de terrain, avait choisi le Sud-Manche pour aller à la rencontre de ses concitoyens : collégiens de Pontorson, entreprises locales (Pivette et Palorette à Saint-Senier-sous-Avranches et Solibulles-Meuh Cola à Dragey) et habitants lors de la réunion publique à Dragey-Ronthon. L’actualité des batteries de stockage l’a également appelé à Saint Laurent de Terregatte à la demande des élus et du collectif citoyen tout juste créé.


Compte tenu des commissions thématiques dont il est membre, "Agriculture et développement rural" et "Marché intérieur et protection des consommateurs", et de la spécificité rurale de notre territoire, les rencontres ont beaucoup porté sur les questions agroalimentaires et environnementales, pour lesquelles selon lui l’échelon européen est essentiel et qui ont justifié, a-t-il expliqué, son engagement au Parlement européen.


Mais d’autres sujets sont apparus au fil des rencontres…

L’Europe au collège

Dans le cadre d’un projet mené avec leurs professeurs en classe médias et enseignement moral et civique (EMC), l’eurodéputé a échangé avec les 4ème-3ème de Pontorson au travers d’une interview des élèves. Au programme : citoyenneté européenne et programme Erasmus+ mais aussi d’autres sujets sous le prisme de l’Europe : agriculture, environnement et économie, numérique…


Sur le fonctionnement de l’Union européenne il a rappelé ses trois institutions principales : le Conseil européen (chefs d’États), la Commission européenne (équivalent du gouvernement) et le Parlement européen (députés élus) qui débat (parlemente) et vote les lois proposées par la Commission, comme la loi sur le chargeur unique des téléphones.


Il s’est félicité du programme Erasmus+ qui permet désormais à des jeunes collégiens ou de MFR (Maisons familiales et rurales) d’aller découvrir un pays et échanger avec d’autres jeunes européens, comme cette année le voyage en Finlande des 4ème. Les élèves en retour lui ont raconté leur expérience du collège là-bas : relations plus détendues avec les profs, liberté, repas gratuits, activités manuelles…


Les questions sur l’utilité de l’UE ont permis à l’élu européen d’évoquer la question de l’agriculture déterminante à la naissance de l’Union européenne en recherche d’autonomie alimentaire et les rôles selon lui qu’elle doit jouer : définir des règles communes pour l’environnement et la santé de tous y compris des agriculteurs, favoriser le marché européen et organiser le marché international, aider les agriculteurs à vivre de leur métier.

A la question « Comment concilier développement économique et biodiversité ? » l’élu écologiste a répondu une autre question : « Comment continuer le développement économique si la biodiversité disparait ? » et a expliqué la différence entre une économie linéaire extractiviste au détriment selon lui de la biodiversité et une économie circulaire de réutilisation plus sobre en énergies et en déchets.

Sur le sujet du numérique, il a rappelé qu’il avait organisé en février à Paris une réunion à Paris sur l’IA parce qu’elle pose des questions éthiques notamment sur le droit à la propriété intellectuelle et risque de faire disparaitre de nombreux métiers. Plus largement il a alerté les jeunes sur la menace que le numérique fait peser sur nos libertés en récupérant nos données et donc nos vies.


Un sujet d’actualité s’invite dans la visite : le stockage de batteries à Saint-Laurent de Terregatte.
L’eurodéputé a répondu à l’appel d’élus et du collectif citoyen inquiets du projet de l’entreprise portugaise Tag Energy d’implanter 2 ha de batteries de stockage d’électricité par batterie au lithium à moins d’un kilomètre du bourg.



Le collectif citoyen soutenu par les élus vient de se créer dans l’urgence en faisant appel à leur voisin écologiste François Dufour paysan ancien Conseiller régional et syndicaliste habitué à défendre nos ruralités (celui qui a fait plier Elon Musk en l’empêchant d’implanter son projet Starlink à Saint-Senier de Beuvron !). Pendant près d’une heure, l’élu européen a écouté les inquiétudes locales : risques d'emballement thermique et d’incendie, impact environnemental (pollution au lithium dans l’air et l’eau sur un lieu principal d’eau potable dans le Sud-Manche), flou autour des décisions (accord tacite du Préfet, avis défavorable de la Commission départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers-CDPENAF)… L’élu qui connait bien ces questions sur Rouen a également émis des réserves face au projet et proposer d’écrire « un courrier au préfet pour avoir son positionnement sur le sujet. Il faut qu’on se penche sur le dossier. »

Deux visites d’entreprises qui s’en sortent bien grâce à un modèle plus autonome et environnemental : Pivette et Palorette, Meuh Cola
Pivette et Palorette, la ferme au doux nom de rivières, bien connue désormais pour ses yaourts et crèmes dessert médaillées au dernier salon de l’agriculture, vend en grandes et moyennes surfaces comme en magasins spécialisés et en restauration collective. Alexis Trublet qui a repris la ferme a expliqué qu’ "une valorisation du litre de lait est possible si on transforme soi-même pour avoir un travail qui paie". Il s’est lancé en 2015 avec son père dans le lait bio, la transformation et la vente locale "par conviction écologique mais aussi pour améliorer ses revenus". En rejoignant le réseau « Invitation à la ferme » créé à Nantes et en Bretagne qui représente maintenant 40 fermes en France, il a été bien épaulé pour la formation de ses 7 employé-es, ainsi que la commercialisation et la communication. Ici, on garde longtemps les vaches : 80 vaches laitières (au 2/3 des Jersiaises au lait si riche en crème) qui pâturent sur 62ha. La plus vieille qui a 13 ans fait partie des premières venues du Danemark ! 1300 litres par jour (16 litres par vache) et pas de robot pour maximiser le pâturage. L’herbe étant très protéinée, il suffit d’ajouter juste un peu de maïs riche en énergie.

 


A Dragey, Sébastien Belletoile créateur de l’entreprise Solibulles - Meuh Cola lui a raconté son histoire de bulles locales, équitables et écologiques qui travaille avec la biodiversité en choisissant un rapport de coopération avec la nature. Depuis 15 ans d’existence il propose une alternative locale, bio et plus saine à Coca-cola et autres softs drinks. En chiffres : environ 800 K€ de CA, 500 000 bouteilles/an, 4 salarié-es ETP (Sébastien, Noémie, Camille, Lucas), 6 saisonnier-es, 2 ânes du Cotentin pour la tonte et le débroussaillage, augmentation de 30% du verre réutilisable, gestion logistique de la consigne, unité de nettoyage des bouteilles, autosuffisance grâce aux panneaux solaires et batteries, gestion des déchets exemplaire (seulement 100 Kg de déchets ultimes).


A cela s’ajoute d’autres gestes écologistes : expérimentation « verger punk » avec arbousiers et yuzu ; protection des plants par des balles de paille qui régulent également l’humidité ; livraison de tout l’hypercentre de Caen à vélo (avec le partenaire Tout en vélo) et bientôt sur Rouen et Le Havre. Sébastien vient aussi de créer un magasin de confiance : on se sert et on paie, il constate peu de vols. Et depuis l’an dernier, il organise un salon du vin nature début juillet.

Un apéro-débat ouvert aux questions du public et s’appuyant sur les rencontres de terrain.

Une trentaine de personnes de tous âges étaient venues en ce vendredi soir de mai, certaines convaincues d’autres par curiosité, interpellées par le titre de la réunion publique organisée par le groupe local des Ecologistes du Sud-Manche « Défendre nos ruralités et nos libertés ».


En préambule, David Cormand a rappelé que ce territoire l’intéressait non seulement parce qu’il était normand et y avait des liens mais aussi parce que beaucoup de questions cruciales s’y concentrent : trait de côte, gestion de l’eau, cheval, agriculture
 …

Dérèglement climatique et énergies ?
A ces questions, l’eurodéputé a répondu que lutter contre le dérèglement climatique, c’est lutter pour limiter la production des gaz à effets de serre, mais que cette lutte a produit un effet pervers : la climatisation de la politique. On fait payer l’écologie climatique à la biodiversité. Certaines multinationales scrutent les espaces disponibles pour faire de l’argent avec l’électricité, comme à Saint laurent de Terregatte (et à Isigny le buat avec Agrocare). Pour ce sujet essentiel de l’énergie, David Cormand préconise la création de coopératives publiques avec les habitants, comme en Allemagne.

Question agricole ?
L’eurodéputé membre de la Commission Agriculture et développement a rappelé que s’il y a une politique publique où l’Europe a vraiment le pouvoir, c’est l’agriculture par les réglementations, les marchés, le budget et que, même si la part de l’agriculture a diminué depuis les années 80, elle demeure le premier poste de dépenses de l'Union européenne en représentant plus du tiers du budget de l’UE.
Aux personnes présentes qui l’ont interpellé sur un antagonisme entre agriculture et protection de la biodiversité (voir actuellement la question épineuse des haies dans l’actualité à Marcey-les-Grèves et Villedieu Intercom), l’élu écologiste a répondu que c’était une opposition totalement fausse puisque l’une ne va pas sans l’autre, tout comme la question du revenu des agriculteurs. Aux partis qui s’en servent pour accuser l’écologie, il réplique que le 1er secteur de l’uberisation c’est l’agriculture, que la loi Egalim n’a pas marché car elle était juste incitative et nationale et qu’il faut aider les agriculteurs à reprendre le pouvoir. 

Comment ? lui a-t-on demandé. 

Sa réponse tient en deux objectifs :

- Arrêter l’aide à l’hectare pour privilégier l’aide au nombre de salariés.

- Valoriser bien davantage les services rendus à la nature (par exemple, mieux rétribuer les haies et, comme évoqué avec Alexis Trublet, faciliter les règles pour gérer ses prairies qui, outre le pâturage, sont des puits de carbone).

Alors que la future Politique Agricole Commune (PAC) commence à se préparer pour 2028, l’élu président de la délégation française du groupe Europe Ecologie les Verts a insisté sur l’importance de renforcer la part de revenu des agriculteurs dans la chaine de l’alimentation et de leur permettre de transformer eux-mêmes, en facilitant le maillage économique entre l’agriculteur et le reste de l’économie locale, comme les deux entreprises qu’il a pu découvrir chez nous. Cela revient selon lui à remplacer « le triangle vicieux agrochimie-agroalimentaire-grande distribution par un triangle vertueux "agriculteur-environnement-consommateur".

Pourquoi « défendre nos libertés » dans le titre de votre débat ? s’est interrogé une personne dans l’assistance
Sans doute pour parler du numérique évoqué aussi avec les jeunes mais plus largement pour évoquer le risque de perte de souveraineté qui menace nos démocraties et nos territoires tranquilles. « La souveraineté, c’est avoir le contrôle de ce dont dépend notre subsistance : la nourriture, l’économie, la défense. »
Pour David Cormand, l’écologie et l’Europe sont les alliées naturelles pour défendre nos souverainetés et nos libertés menacées par des Etats autoritaires mais aussi par « un capitalisme de surveillance » selon le titre du livre de Shoshana Zuboff qu’il a cité. Battre monnaie et impôt c’était un monopole politique mais maintenant certains Etats associés à des firmes multinationales s’extraient de tout contrôle. Ils ont compris que la croissance ne peut pas être infinie et donc accélèrent leur accaparement : terres rares d’Ukraine et voies maritimes nouvelles du Groenland par exemple.

Gravité mais espoir dans la convergence des luttes

La réunion s’est finie sur un ton grave mais les échanges se sont poursuivis lors d’une séance de dédicace de ses livres : « Temps de cerveau libéré : en finir avec la publicité », « Ce que nous sommes. Repères écologistes » grâce à la librairie Mille et une pages d'Avranches. Et en écoutant l’eurodéputé écologiste avec les habitants du sud manche de tous âges et métiers, on en vient à voir beaucoup plus de points de convergences que d’opposition pour ce qui tient à cœur à toutes et tous : protéger l’humain dans une nature préservée pour se nourrir, vivre bien et libre.